Les travers du cinéma indien

17 février 2022, pulandevii

Sommaire

  • L'enfance : bouillon de colorisme

  • Mon rapport au colorisme

  • L'industrie des cosmétiques

  • Le colorisme avant la colonisation

  • Les Cafres et les Siddis, communautés noires d'Asie du sud.

  • Média et représentativité, quel constat ?

  • Le traitement des personnes noires dans les films indiens

  • De certains changements.

  • Ressources & Recommandations

image trouvées sur feminisminindia.com

L'enfance : bouillon de colorisme

Lors d’un sondage sur ma page instagram, je me souviens d’un témoignage d’une femme qui me disait qu’elle avait toujours du mal à s’exposer au soleil et ne pas pouvoir défaire ce lien entre la couleur de peau et sa valeur à cause de l’éducation qu’elle a eue dans son enfance.

Elle en était consciente de son colorisme.

Le problème insidieux c’est que les sud asiatiques ne seront pas forcément vocaux sur leur racisme envers les personnes noires mais il se traduira par des choix qui les éloigneront de toute apparence noire.

Que ce soit choisir une teinte de fond de teint plus claire que sa peau, utiliser un filtre photo éclaircissant, préserver le teint de la peau et le protéger de toute exposition au soleil.


Récemment la couverture de Vogue a crée un tollé en portrayant des femmes noires de différentes teintes sans avoir fait un exercice de mise en valeur.

“Il y a beaucoup à déconstruire ici : le cadrage, l’assombrissement délibéré en post-production, les expressions mortes et l’absence de joie sont tellement révélatrices de la façon dont les institutions de mode blanches voient les femmes noires, le choix artistique de toutes les mettre en noir alors que des couleurs vives auraient sûrement été bien plus flatteuses pour leurs teintes de peau. Mais tout ce que je veux dire, c’est qu’on est en 2022 et que ‘Vogue’ n’est toujours pas fichu d’éclairer correctement des femmes noires. Cette lumière est une mascarade.”

Christiana Mbakwe-Medina

“Cette couverture est bizarre. L’éclairage ne va pas ; le fond ne va pas. Les différences entre les tons de peau et les reflets sont inexistants. Et les modèles africaines portent toutes des perruques à l’européenne. Hein ? ‘British Vogue’ doit vraiment embaucher des photographes noires.”

Nichelle (Nyx Greenfyre) Johnson

Le photographe, Rafael Pavarotti serait connu pour assombrir les teintes foncées, vous pouvez jeter un coup d'oeil à son travail ici.

Artistique ou pas, sa manière de faire est étrange, pourquoi il n'a pas laissé les teintes de peau intactes. Pourquoi les exagérer ? Ça montre bien qu'il y a un certain malaise dans la perception des femmes noires surtout dans le monde l'image. La question de la fétichisation des peaux noires se pose bien évidemment.

Certain.e.s disent que c'est un effet de mode de mettre en avant les femmes noires. Le futur nous le dira.

image trouvées sur feminisminindia.com

Mon rapport au colorisme

Pendant que British Vogue se lance dans une tentative ratée de représentation des peaux foncées. En Inde, et l'Asie du sud, on fait tout pour s'éloigner du noir.

Le colorisme en Inde est tellement systémique qu’il se trouve dans la moindre partie de votre vie en tant qu’individu.

On le retrouve dans l’alimentation d’une femme enceinte pour son bébé qui n’est pas encore mis au monde, dans les critères de beauté inscrit sur la plateforme matrimoniale, sur les filtres éclaircissants utilisés lors de photos. Il peut se retrouver dans la réaction face à vos plis de peau de votre coude ou sur vos genoux.

Je l’ai expérimenté frontalement, lors d’une visite d’une amie de ma grand-mère qui lance cette question à ma mère :

"Comment ça se fait qu’elle soit aussi noire ?"

Comme si venant de france, ça n’était pas possible … Les asiatiques du sud ont une image rêveuse de la France, j'en parlais ici.

Je devais avoir 14 ans, la super phase de l'adolescence qui te pousse à bien te sentir…

Je me rappelle aussi de la fois où mon père rentrait d'Inde avec les valises remplies de cadeaux en tout genre et le mien était une crème éclaircissante Fair & Lovely, j’avais 12 ans, je lui ai crié dessus, ne sachant pas comment contenir ma colère et mes sentiments.

"Reprends tes crèmes, je n’en veux PLUS."

Lorsque je me balade dans des centres commerciaux en Inde, il y a toujours un étage de rayons de cosmétiques , les vendeuses sont briefées à cibler les personnes avec la peau foncée et leur vendre des crèmes, je n’y ai pas manqué. J’étais la cible parfaite, j’avais de l’acné et une peau foncée.

C’était compliqué pour moi de leur demander d’arrêter car elles étaient insistantes. Ne touchant même pas de salaire minimum ces femmes devaient vendre, j'y voyais la notion de classe sociale/ caste et dans le même temps j’étais de la même couleur qu’elles donc j’étais confuse sur leur/mon estime de soi.

A ça s'ajoute le fait que je ne voulais pas être la française qui envoie bouler ces vendeuses et être méchante envers elles. Je finissais par dire, ok montre moi tes produits puis je finissais par prendre un eye liner …

Cela fait plusieurs années que je ne suis pas retournée en Inde, j’espère que les techniques de vente ont changé.

Puis pour finir le tour des occurrences liées au colorisme, on m’a toujours dit qu’une personne à la peau foncée ne pouvait pas mettre de vêtements de couleurs sombres, qu’il fallait contraster avec la peau… dans les saris, les bijoux, tout accessoire qui peut se retrouver au contact de votre peau.

L’histoire de contraste, je comprends pour faire ressortir une couleur mais de là à dire que ça ne va pas telle ou telle peau… c’est excluant.

Le colorisme en une seconde c'est : le vendeur vous regarde et vous sort un bijou ou un vêtement opposé à votre couleur…

Ici les occurrences citées se sont déroulées à Pondicherry.

L'industrie des cosmétiques

L’industrie des crèmes éclaircissantes, si puissante depuis les années 80 en Asie du Sud, a su se développer de manière exponentielle au fil des années.

Le succès de cette industrie ne peut que dépendre des célébrités du cinéma indien (toute industrie confondue). Sachant que le cinéma et l'incarnation des personnages sont importants pour les fans et l'opinion publique. Il arrive très souvent que ces célébrités partagent ouvertement leurs opinions politiques et soutiens à tel parti , ce qui crée d'autant plus de rapprochement.

D'ailleurs de 1977 à 1987, le Chief Minister, soit l'équivalent d'un président de région en France, de l'état du Tamil nadu était un ancien acteur influent sud asiatique, Marudhur Gopalan Ramachandran, M.G.R, après avoir mené une carrière d'artiste à succès. Il avait mesuré son pouvoir face à son auditoire. A sa mort, des milliers de gens sont sortis dans les rues pour lui faire hommage et plus d'une trentaine de personnes se sont suicidées.

Ma mère, grande fan, me dit souvent qu'il existe encore plein de personnes qui ne croient pas à la mort de leur cher M.G.R.

Pour vous dire à quel point le cinéma est sacré.

C'est donc sans surprise que lorsque les célébrités endorsent n'importe quelle marque, les consommateur.ices ouvrent leur portefeuille.

Initialement, nous ne voyons que des femmes dans les publicités aux scripts les plus sexistes et coloristes.

Personnes ouvrières sur le projet ferroviaire Ouganda-Kenya

En 2020, à la mort de Georges Floyd, PC n'a pas manqué de créer une polémique suite à sa publication sur instagram.

Tous les réseaux sociaux se sont agités face à cette publication perçue comme ironique car PC a participé à ce colorisme, à cette négrophobie dans son propre pays en acceptant de tourner un spot publicitaire pour Garnier. PC a récemment déclaré qu'elle regrettait avoir participé à ces spots.

Et elle est loin d'être la seule, à la liste s'ajoute de nombreuses célébrités.

Ces déclarations peuvent être “sincères”, mais on ne peut s'empêcher de questionner les réelles motivations derrière vu que PC, notamment commence à avoir des opportunités dans le cinéma américain. Elle fait partie d'un environnement américain dans lequel il est commun et d'actualité de questionner les rapports entre les personnes noires et blanches d'un point de vue systémique.

Chose qui n'arrive pas encore à percer en Asie du sud, notamment ces questions de casteisme dans lesquelles le colorisme/négrophobie est rattachée.

Quand je regarde ces anciennes publicités, l'effort de marketing me paraît bien trop simple. Le message publicitaire est concis, précis et surtout très clair. Si vous n'etes pas clair.e de peau, vous ne valez rien, vous avez le droit d'être triste et d'en vouloir qu'à vous même.

Ces publicités visant principalement les femmes, assignées comme tel, se sont inscrites dans leurs parcours de vie, ou du moins des attentes que la société avait d’elles.

En commencant par le mariage, prouver qu’avec une couleur plus claire, une femme est beaucoup plus désirable aux yeux des hommes. Avec le temps, le message publicitaire a tenté de s’adapter à l’évolution des “la femme” en lui permettant d’entrer sur le marché du travail si elle avait une peau plus claire.

Ces publicités mettent en avant des femmes aux peaux déjà bien claires, puis souvent on leur passe un coup de fond de teint plus foncé pour ensuite montrer qu’après plusieurs mois, votre teint prendra une couleur rose blanche. Donc il y a un recours au brownface en premier lieu pour ensuite montrer la transformation.

Il faut savoir que le brownface/blackface est une pratique courante dans les films indiens à mon plus grand désespoir.

"There is so much work to be done and it needs to starts at an individual level on a global scale. We all have a responsibility to educate ourselves and end this hate. End this race war here in the US, and around the world. Wherever you live, whatever your circumstances, NO ONE deserves to die, especially at the hands of another because of their skin color. ⁣⁣⁣
⁣⁣⁣On May 25th, George Floyd was pinned down by the neck by a Minneapolis police officer and died. He laid there, fighting for his life, struggling to breathe, and other officers just stood there and watched. The officer has now been charged with murder.⁣George, I am praying for your family. ⁣⁣⁣Text “FLOYD” to 55156 and sign the petition. ⁣⁣⁣#JusticeForGeorgeFloyd"

Toutes ces personnes sont passées par l'étape du brownface.

Toutes ces personnes sont passées par l'étape du brownface.

Si l'industrie a débuté son ciblage envers les femmes, il y a eu une réelle stratégie publicitaire visant les hommes, perçus comme tel, qui s'est developpé dans les années 2000.

De plus en plus on voit le message changer de forme pour insister sur cette notion de glow, de ne plus utiliser le mot : clair (fair) dans les spots publicitaires sans changer le fond de commerce. Ce qui me fait penser à ce glow, qui en fait est tout aussi chargé de biais.

Enquête sur les raisons d'achat des consommateur.ices des produits éclarcissisants de 2019

Dhanush et ses cornrows, enlève ça stp. Cliquer pour voir le clip. Grosse influence Hip-Hop

La première raison est donc que ces produits permettent aux personnes indiennes de bien se sentir dans la vie. La couleur de peau est devenue indissociable de la valeur de l'individu.

J’ai été confrontée à ces publicités que je le veuille ou non. Elles sont partout, à la télé, sur les panneaux d’affichage, dans les films, dans le regard des gens, sur le visage des gens, quand je vois qu’une personne a un décalage de couleur entre son visage et son cou par ex….

Tout est fait pour ne pas ressembler aux personnes foncées ou aux personnes noires, alors pourquoi l’Afrique is still in love with Bollywood?

Très curieux, encore une fois, les gens ne veulent pas être noir mais veulent des coiffures afro…

Le cinéma indien s'inspire beaucoup de codes culturels portés par des communautés noires telles que les danses ou le rap. On prend le côté esthétique qui nous plait et on fuit le reste.

Le colorisme avant la colonisation

On le voit aussi dans la religion et la manière dont les divinités hindoues sont représentées. Très clair de peau, un glow rose.

Chammak Challo est composée par Vishal Dadlani.

“When you dance, watching you, oh fair-skinned girl, Beyoncé will be ashamed.

En te voyant danser, oh fille à la peau claire, Beyonce aurait honte.

Je me demande comment on passe de la superbe énergie véhiculée par Akon et ses collaborateurs, à travers cette chanson qui unit ces deux cultures, à l’attaque, coloriste, négrophobe donc raciste à l’encontre de Beyonce, de 2020.

Dans un film indien, bollywood, des compositeurs ont écrit les paroles suivantes :

La divinité au milieu, Ramar/Krishna, portrayée en bleu alors qu'on le décrit en noir dans des poèmes remontant dans les années

Figurez vous que le chanteur de cette chanson ouvertement négrophobe est ce fameux Vishal Dadlani…

Je ne peux m'empêcher de me questionner sur le traitement d'Akon lors de son passage en 2011. Etait-il aussi critiqué pour sa couleur de peau en langue hindi, à son insu ?

Je me pose aussi la question de la mysoginoire, une contraction de mysoginie et noire. C'est à dire une discrimination basée sur le genre de toute personne perçue comme femme.

Est ce que Beyonce reçoit cette insulte en raison de son genre ?

Voici la définition du collectif Mwasi

Misogynoir :Terme formé à partir des mots grecs (μῖσος) misos : haine, (γυνή) gyné : femme et du français noir-e. Le terme créé en 2010 par Moya Bailey, chercheuse et militante féministe afro-américaine, décrit une misogynie et une négrophobie dirigées spécifiquement envers les femmes noires. Parfois, cette misogynie créée une opposition binaire avec les femmes blanches (qui représentent la « bonne » féminité quand les femmes noires ne le sont pas) ou avec d’autres femmes racisées, mais seulement dans la mesure où les femmes noires sont les plus avilies. Cette opposition rend invisible la douleur des femmes noires.

Des protestations ont eu lieu contre cette chanson et contre tous.tes les artistes liée.s au projet. En premier lieu, les compositeurs ont eu la “très mauvaise idée” de remplacer Beyonce par Beyonse…

Un changement qui a, à nouveau crée un tollé, engendrant une deuxième modification.

  1. Beyonce Sharma Jayegi

  2. Beyonse Sharma Jayegi

  3. Duniya Sharma Jaayegi

Duniya qui signifie le monde en langue hindi.

Les protestant.t.es se sont indignés de cet acte en s'excusant auprès de Beyonce sur Twitter cependant ces excuses étaient formulées de manière déconnectée de l'incident raciste et négrophobe (Beyonce) et du colorisme et de la négrophobie quotidienne présente en Inde.

Cette affaire ravive la conversation autour de la négrophobie et du colorisme qui ne peut plus tarder. Bollywood est une gigantesque industrie qui a un rôle puissant en Inde, ses artistes participent à la banalisation de cette négrophobie. Elle a également une soeur extrêmement puissante, qu'est l'industrie de cosmétique. Tout en continuant d'explorer les liens entre l'Afrique et l'Asie du sud, je parlerai également des dérives de Bollywood avec un exemple de film qui m'a profondément dérangée. Nous verrons en quoi la représentativité dans les médias peut être un début guérisseur pour les personnes non représentées à l'écran.

Carton rouge pour Bollywood

Recommandations et sources

Voici des recommandations de supports pour comprendre l'expulsion, ordonnée par Idi Amin ainsi que les rapports entre communautés noires et sud asiatiques.

Lecture : “Les rochers de poudre d’or” de Natacha Appanah, autrice mauricienne qui raconte l’arrivée de paysans indiens, engagés, sur l'île Maurice.

Film :

  • “Mississippi Masala” joué par Denzel Washington et Sarita Choudhary, de Mira Nair

  • “Le dernier roi d'Ecosse” joué par Forest Whitaker, de Kevin Macdonald

Sources

https://www.nypl.org/blog/2011/12/06/bollywood-and-africa-love-story

https://www.asiabyafrica.com/point-a-to-a/bollywood-in-nigeria

https://en.wikipedia.org/wiki/Uganda_Railway

https://fr.wikipedia.org/wiki/Engagisme

https://fr.wikipedia.org/wiki/Abolition_de_l%27esclavage#Au_Royaume-Uni

J'ai beaucoup appris durant la phase de recherche et je me rends compte qu'il y a très peu de documentation sur les différents sujets et les liens que j'essaie de faire entre ces deux communautés au passé plus que commun.

Les travers du cinéma indien, suite.