I grew up thinking I was white. J'ai grandi en pensant que j'étais blanche

RACISMEIDENTITÉS PLURIELLESIDENTITÉS SUD ASIATIQUES PLURIELLESBROWN

Nastassia

4/22/20212 min read

Née au Canada, j’ai passé les premières années de ma vie dans un espace majoritairement blanc, à parler en anglais à mes parents mauriciens. Mes parents Brown vivaient à l’époque - début des années 90 - une vie de couple assez hors-norme surtout pour des personnes d’origines sud-asiatiques. Ils vivaient en concubinage et ont eu une gosse, moi, hors mariage. Leur parcours d’immigrants était aussi assez atypique parce qu’ils ne s’étaient pas intégrés à une communauté religieuse, ou diasporique mauricienne ou autre.

Je n’ai pas grandi avec un entourage Brown/hindou/autre et n’ai donc pas ancré mon identité dans ces cultures.

Quand on a déménagé à Maurice, j’avais 7 ans et j’étais anglophone. Je comprenais le français à peu près et j’ai éventuellement appris le créole mauricien aussi mais mes différences m’ont démarquées des autres très tôt.

J’étais « la canadienne » J’avais des mœurs différentes, une façon d’être qui tantôt dérangeait, tantôt plaisait. Les garçons avec qui je suis sortie ado se flatter l’égo de par mon identité canadienne/anglophone/occidentale. Cette identité « blanche » me rendait cool, et parce qu’ils pensaient s’en déteindre, eux aussi se sentaient cool. Au fil des années, je ne me retrouvais que dans cette identité car je n’avais jamais eu à réellement me pencher sur la question. Cette identité me donnait un avantage social. Je bénéficiais de l’admiration de mes pairs et mon passeport canadien me donnait libre accès à des choix de vie que mes amis n’avaient pas. Je n’avais rien à perdre et tout à gagner.

Ce n’est que lorsque je retourne au Canada à 18 ans que j'apprends que je suis Brown. On me demande si je suis indienne, si je mange épicé, si je connais les bons restos indiens en ville, si j’aime les films bollywood. On m’impose toutes ces choses qui me sont tellement étrangères. Dans ma tête, je suis bien « one of them ». Pourquoi ne voient-ils que la couleur de ma peau ? Pourquoi la couleur de ma peau raconte-t-elle un vécu qui est faux ?

J’ai l’impression d’habiter un corps qui me trahit. Je me pensais cool, voire blanche, « coconut* », car je n’ai pas grandi Brown. Comme-ci la seule façon d’être cool c’était d’être blanc. Je ne me reconnaissais pas dans ces portraits stéréotypés et ça me blessait d’y être assimilée.

*Bounty: blanc à l’intérieur et marron à l’extérieur

Avec du recul, et grâce à des espaces tels que celui-ci, merci Pulan, merci les Spicy Devis, et des personnalités « third culture » comme Riz Ahmed, Priya Ragu, Alok Vaid-Menon et j’en passe, j’arrive maintenant à mieux me cerner. Je n’arrivais pas à me situer car j’avais l’impression que cette construction Brown-blanche était binaire. En ne regardant que les extrémités, je faisais abstraction de tout ce qui se trouve entre les deux : un spectre immense d’identités colorées.

Maintenant que je rencontre des personnes ayant des vécus semblables au mien, je me sens affirmée. Je me retrouve dans ces histoires et j’apprends à me regarder et à m’apprécier en dehors d’un « colonial gaze* ».

*Regard colonial

Ça m’a pris un sacré bout de temps mais on y est.

Mes expériences de vie, la couleur de ma peau, mes valeurs, mon physique, mes choix vestimentaires, les langues que je parle…

Je suis Brown et anglophone, et canadienne, et africaine, et nord-américaine, mauricienne et francophone et surtout je suis bien plus que toutes les cases que je coche. Je n’ai pas besoin de me sentir blanche pour être cool. J’existe à l’intersection de tout plein de choses et je n’ai plus besoin de me caser dans des espaces trop petits pour m’englober.

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