Et toi, c’est quoi ton chiffre ?

La numérologie....

Aalive

3/1/20216 min read

Dans la communauté tamoule, et notamment celle issue de la diaspora - puisque c’est celle dans laquelle je vis-, il y a une pratique qui permet en un rien de temps de mettre une étiquette sur une nouvelle personne que l’on rencontre, et dont je ne pouvais pas me passer plus jeune : la numérologie.

Elle permet d’avoir l’impression de connaître une personne avant même d’avoir vraiment discuté avec elle. Et pour la personne qui donne son chiffre de vie à une autre, ou plutôt son « number » comme nous l’appelons entre nous, cela lui permet de se conforter dans un type de personnalité qui lui a été transmis, qu’on lui a affirmée qu’iel était. Tout ceci, basé sur un number calculé dès notre arrivée au monde (notre date de naissance).

Pourquoi cette pratique est-elle si addictive ? Pourquoi tant de personnes, de nos propres parents aux adolescents, y sont-ils si attachés ? Pourquoi sont-ils convaincus que cet ensemble de croyances est plus réelle que la réalité d’une personnalité complexe formée par les expériences et le vécu d’une personne ?

En résumé : qu’est-ce que cette croyance qu’un simple chiffre nous définit entièrement, apprend-t-elle sur nous ?

SI j’ai longuement réfléchi à cette question, c’est parce que je me suis rendue compte au fil des années que cette pratique, qui m’était devenue systématique au quotidien, me pourrissait la vie, littéralement. Malgré toute « l’aide » que j’avais l’impression qu’elle m’apportait.

Mon « number » -que je ne donnerai pas ici- est, dans mon entourage, associé à des traits négatifs, ce qui a eu pour conséquence pendant très longtemps ma faible confiance en moi et faible confiance également en la validité de mes décisions, de mes choix : j’étais censée être colérique et jalouse des autres, pas une personne fiable, qui « réfléchit trop », etc. Dès que je ressentais une de ces émotions, je me disais que c’est normal, c’est parce que je ne suis pas quelqu’un de bien de toute façon. C’est terriblement réducteur quand on y pense mais dans mon cas, cela s’est ancré dans ma façon de penser et dans mon être, profondément ; j’ai fini par ne plus savoir pourquoi je pensais cela de moi mais une chose était sûre : je m’étais définie par tous ces traits “négatifs”.

Cela s’appliquait aussi aux autres personnes que je rencontrais et qui étaient du même number : dès que j’apprenais d’une manière ou d’une autre leur chiffre, iels redescendaient systématiquement dans mon estime. Et inversement pour les chiffres que je voyais comme positifs, iels pouvaient être les pires personnes que j’avais rencontré de ma vie mais dès que je connaissais leur date d’anniversaire, la vapeur s’inversait systématiquement. Je leur trouvais une raison d’avoir été comme cela dans telle situation, et de penser qu’au fond ce sont des gens « bien ». Tout cela me parait tellement stupide aujourd’hui, et pourtant, il y a quelques années, c’était bien comme cela que je raisonnais.

Selon l'environnement dans lequel on est, certains numbers seront perçus comme uniquement positifs, d’autres un mélange de positif et négatif, tandis que les derniers sont perçus comme associés à des traits de personnalité plutôt négatifs. Et les croyances selon le number sont assez définitives : tu es comme ça et c’est tout. Et c’est là que tout ce système peut être destructeur : il y a les gens bien nés et les autres (ça rappelle les castes un peu ça, non ?).

Et alors, pourquoi cette pratique est-elle si addictive ?

Avoir le pouvoir de ranger chaque personne dans une case instantanément : n’est-ce pas le rêve ultime ? (oui, toute proportion gardée ^^’). Cela nous rassure, cela permet de combler un vide.
Imaginez :
lorsque l’on sort de notre zone de confort, de notre entourage proche pour aller vers l’inconnu : on essaie forcément d’emmener avec nous quelques croyances qui vont nous permettre de mieux comprendre ce que l’on va croiser sur notre chemin, comme des amis chaleureux.

Cette affirmation est vraie pour l’astrologie en général et je pense que la numérologie a été choisie par notre communauté parce qu’elle est un des héritages de nos ancêtres. Le principal problème, c’est que cela nous enferme, et l’engouement de notre entourage proche pour ces numbers fait que l’on finit par se définir entièrement par cela, et chacun de nos actes finit par être teinté de l’ombre de ce number : une même action, un même accomplissement réalisé par deux personnes au number différent peut être perçu de façon foncièrement opposée selon leur number.

J’insiste aussi sur le caractère du « profondément ancré » : pour en avoir discuté avec des amies et proches, certaines personnes sont intimement convaincues de ce que ces chiffres racontent de nous. Même si j’amène l’argument du « ça ne marche pas en dehors des tamouls », rien n’y fait : « c’est parce qu’ils ne sont pas hindous, ça ne peut pas s’appliquer à eux ». Il y a là un paradoxe qu’iels ne voient pas ou n’arrivent pas à voir.

Ce besoin d’utiliser la connaissance de la numérologie, je l’associe aussi beaucoup aux femmes car c’est ce que j’ai observé autour de moi. Mais cela n’est peut-être pas vrai dans tous les cercles ?

Comment faire pour s’en sortir ? En tout cas, comment j’ai fait - et continue de faire actuellement.


Ce qui peut faire du bien, c’est de savoir prendre du recul sur tout cela, sortir de la bulle dans laquelle on s’enferme avec ces croyances. C’est un premier pas pour aller vers un mieux.

Pour ma part, c’est lorsque j’ai commencé à parler de ce que je ressentais, que j’ai commencé à me rendre compte petit à petit de ce dans quoi je m’étais enfermée. Parler à des personnes bienveillantes, en qui j’ai confiance. Sans évoquer forcément la numérologie dès le début mais en parlant de ma manière de me percevoir, de mes émotions en général.

Raconter nos émotions, ce n’est pas quelque chose de commun dans notre communauté mais c’est tellement libérateur : mettre des mots sur les pensées dans notre tête, être écoutée, être entendue, s’écouter parler et trouver une autre manière de voir les choses, en résumé, parlez, ne restez pas seul.e avec vos pensées !

Pour en revenir aux personnes avec qui j’ai pu en discuter, l’une d’entre elles m’a proposé de faire l’exercice suivant : faire une liste des personnes que je connais, en les rangeant selon leur number. Si vous aussi, vous êtes dans une spirale infernale concernant la numérologie, l’astrologie ou autre, je vous conseille de faire cette liste, vraiment. Puis relisez-la un peu plus tard, à tête reposée. Pour ma part, cela m’a fait me rendre compte que les personnes d’un même number étaient en fait tellement différentes les unes des autres alors que tant que c’était dans ma tête, j’étais convaincue qu’elles partageaient toutes les mêmes traits de personnalité. C’était mon premier grand pas m’ayant permis de prendre du recul.


Il n’y a rien de mal à penser que « tout est écrit dans les étoiles ou dans les chiffres » tant que ce qui en sort
nous réconforte et nous fasse du bien, à soi et autour de soi. Il n’y a pas de mal à se chercher un moyen d’affronter l’inconnu, tant que l’on sait au fond de soi que chaque personne est un nuancier étendu de qualités et défauts, et que chacun évolue au cours du temps. Qu’une personne ne peut pas être résumée à un ou deux traits de personnalité, décidé par on ne sait qui, on ne sait quand. Il n’y a pas de mal, tant que cela nous permet d’aller bien, d’aller mieux.

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