CLEAN
IMMIGRATIONRACISME ANTI SUD ASIATIQUEFÉTICHISATIONPARCOURS MIGRATIONVIOLENCE INTÉGRATION FRANCE
Thulaci
6/30/20214 min read


CLIN pour CLasse d’INitiation. C’était la classe dans laquelle j’étais placée quand je suis arrivée en France en pleine période hivernale de 2001 avec ma sœur et ma mère. C’était une classe pour tous les enfants allophones de moins de 10 ans que j’étais. CLIN sonne pour nous les allophones comme « clean » (= nettoyer). L’objectif était de favoriser notre intégration dans la société française en nous isolant des enfants français. En effet, selon le concept français, l’intégration devait visiblement passer par l’isolement des enfants immigrés via cette classe. Puis l’intégration devait passer par l’apprentissage de la langue et de la culture françaises en n’interagissant qu’avec des enfants allophones… logique n’est-ce-pas.
Nous n’interagissions qu’avec des enfants immigrés. Nous étions étiquetés différents et donc anormaux…Ce n’était donc pas étonnant que nous étions isolés durant la récréation, à la cantine. Ma mère, ma sœur et moi étions placées dans une chambre d’hôtel où se trouvaient majoritairement des immigré.e.s. En dehors de l’école, je ne fréquentais pas d’autres enfants que ma sœur et enfants français d’origine sri lankaise. Nous étions donc par défaut mises avec nos « semblables ». Tout a été donc fait pour mettre les « arrivant.e.s » en ghettoïsation.
Autant vous dire que l’arrivée en France et l’accueil étaient traumatisants pour la petite fille que j’étais. Les conséquences de ce traumatisme sont nombreuses et entre autres le « white washing ». Évidemment ce n’était pas dans cette classe que j’ai appris le français, merci à la télé de la chambre d’hôtel ! J’ai mis moins de 6 mois pour maitriser convenablement la langue. 6 mois après mon arrivée donc 6 mois après CLIN, j’ai été placée dans la classe de CM1 avec les autres élèves français.
A partir de là, je voulais être perçue plus française que les Français.e.s. C’était ma façon de survivre à la violence de l’exclusion favorisée par le système français envers les minorités racisées. Je suis devenue française en reniant ma culture, en acceptant tous les clichés sur ma culture native qui est la culture tamil sri lankaise, en acceptant d’être la jeune fille exotique, douce, souriante et obéissante. Donc en acceptant de représenter les clichés attendus d’une jeune fille de l’Asie du Sud.
J’avais honte de mes origines, de mon héritage tamil. J’avais honte d’avoir un nom non français, d’avoir un nom et prénom « longs », « difficiles » à prononcer pour les Français.e. Je ne me sentais pas légitime de vivre en France, alors que ma mère avait pris la décision de fuir le pays uniquement parce que nous étions en danger de mort. Je faisais tout mon possible pour qu’on ne me reproche pas ma présence en France, ce qui se traduisait par être l’élève modèle. J’étais toujours parmi les 3 premier.e.s élèves de la classe, j’excellais dans toutes les matières.
Je me pliais aux normes de la méritocratie. A ce moment-là, je ne savais pas que la méritocratie n’était réservée qu’aux privilégiés c’est-à-dire à des Français.e.s blanc.he.s ayant des parents « éduqués » avec un statut social modeste à élevé. Je faisais des extras, tels que participer à la vie associative du village où j’habitais avec ma famille, assouvir la soif de l’exotisme de certain.e.s Français.e.s en faisant des performances de danses indiennes bien clichées non représentatives de la culture tamil. Je ne disais rien quand les Français.e.s me confondaient avec une indienne, car « Sri lanka, Inde c’est pareil »… Je faisais donc tout mon possible pour plaire aux Français.e.s.
Une autre conséquence de ce traumatisme était le syndrome de l’imposteur. Même ayant eu de très bonnes notes, je n’ai pas eu confiance en moi et en mes capacités à réussir dans mes études. Même maintenant faisant une thèse de sciences biomédicales, le niveau d’études considéré comme le plus haut, le plus « élitiste » du système éducatif, je ne me sens pas intelligente, « méritante ». Je ne savoure pas pleinement mes travaux de recherche, je ne les valorise pas non plus car je ne les trouve pas exceptionnels.
En somme je ne me sens pas à ma place car faisant partie de la première génération d’immigré.e.s en France et en tant que femme issue de la communauté minoritaire racisée de France, ma place serait mieux acceptée comme femme au foyer, nounou, femme de ménage, caissière, tous les métiers majoritairement occupés par les minorité.e.s, immigré.e.s (pas par choix) et non docteure experte en imageries biomédicales cardiovasculaires… Heureusement que CLIN n’existe plus (depuis 2010 seulement) mais ça ne résout pas le clivage et la ghettoïsation qu’il peut avoir entre les Français.e.s et les Français.e.s communautarisé.e.s et racisé.e.s.
Je me considère chanceuse car j’ai fait de très belles rencontres qui m’ont ouvert des portes et je sais que ce n’est pas le cas et ce ne sera pas le cas pour certain.e.s enfants et jeunes adultes immigré.e.s…
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